Qui était Stevenson ? | La Balaguère

© P. Saint-Jean

Robert Louis Stevenson est un jeune écrivain écossais qui est parti à pied du Monastier-sur-Gazeille pour arriver douze jours plus tard, à Saint-Jean-du-Gard. Total du périple 220 km à travers les Cévennes avec un âne, Modestine, pour toute compagnie.

Stevenson, jeune écrivain écossais

Stevenson partit à pied le 22 septembre 1878 du Monastier-sur-Gazeille pour arriver douze jours plus tard, à Saint-Jean-du-Gard. Ses aventures, ses états d’âme sont scrupuleusement notés dans son carnet de voyage.

Il ne dit pas qu’il part dans les Cévennes se consoler d’un chagrin d’amour appelé Fanny. Le coup de foudre est réciproque mais la jeune femme de 10 ans son aîné n’est pas libre. Malheureuse en ménage, Fanny à le sens du devoir lequel lui dicte de retourner en Californie rejoindre son époux.
Stevenson ignore que plus d’un siècle et demi après, son carnet de route entrera dans l’histoire. Son ânesse Modestine ignore encore plus qu’elle y tiendra le rôle principal. « Voyage dans les Cévennes avec un âne» regorge d’anecdotes savoureuses. C'est presque un topo guide avec la poésie en plus.
Aujourd'hui, le chemin de Stevenson est un chemin de randonnée dont l’âme transparait à chaque détour du sentier, comme le sont aussi le sentier cathare et Saint-Jacques de Compostelle. Le livre est vite lu. Surtout ne pas oublier de le glisser dans une poche du sac à dos et parcourir le soir les quelques lignes du pays traversé le jour-même.

Pourquoi le choix de Stevenson s’est-il porté sur les Cévennes ?

Certainement par la ressemblance de ces montagnes avec les Highlands d’Ecosse. Le premier titre choisi était d’ailleurs « Voyage dans les Highlands françaises ». La guerre des camisards prend une grande place dans son récit.
« Dans ce labyrinthe inextricable de montagnes, une guerre de bandits, une guerre de bêtes féroces, fit rage pendant deux années entre le Grand Roi avec toutes ses troupes et ses maréchaux, d’une part, et quelques milliers de montagnards protestants, d’autre part. Il y a cent quatre-vingts ans, les Camisards tenaient un poste là même, sur les monts Lozère où je suis. Ils avaient une organisation, des arsenaux, une hiérarchie militaire et religieuse. Leurs affaires faisaient « le sujet de toutes les conversations des cafés » de Londres. »
Le choix des Cévennes est aussi dicté par son admiration pour Georges Sand dont le roman « le Marquis de Villemer » venait de paraître et dont l’intrigue se jouait dans la région du Puy en Velay.
Son périple cévenol commence par un « séjour en étoile » à Monastier sur les traces de son égérie. Elle avait elle-même séjourné ici pour s’imprégner de l’atmosphère du lieu.
A Monastier, Stevenson se promène beaucoup, prend des notes et croque quelques dessins.
« Le Monastier est fameux par la fabrication des dentelles, par l’ivrognerie, par la liberté des propos et les dissensions politiques sans égales. Il y a dans cette bourgade des tenants des quatre partis qui divisent la France : légitimistes, orléanistes, impérialistes et républicains. Et tous se haïssent, détestent, dénigrent et calomnient réciproquement ».
Au bout d’un mois passé au Monastier, il décide de partir en itinérance vers le sud et se prépare.
La confection du sac par Stevenson prête aujourd’hui à sourire. Autre temps autre mœurs !
« En manière d’armes et de batterie de cuisine, je pris un revolver, une petite lampe à alcool et une poêle, une lanterne et quelques chandelles d’un sou, un couteau de poche et une large gourde en peau. Le principal chargement consistait en deux assortiments complets de vêtements de rechange – outre mes habits de voyage en velours campagnard, mon paletot de marin et un chandail en tricot – quelques livres, ma couverture de voyage qui, elle aussi en forme de sac, me faisait double enveloppe pour les nuits froides. La réserve permanente était représentée par des plaquettes de chocolat et des boîtes de saucisses boulonnaises. »

Modestine, une ânesse pour seule compagnie

Pour résoudre l’épineux problème du portage, il se décide à acheter un animal de bât. Son choix se porte sur un âne.
Encore sous le choc de sa séparation avec Fanny, son dépit amoureux pointe en filigrane entre les lignes :
« On comprendra sans peine que je ne pouvais porter cet énorme attirail sur mes propres épaules – simplement humaines. Restait à choisir une bête de somme. Or, un cheval est, d’entre les animaux, comme une jolie femme, capricieux, peureux, difficile sur la nourriture et de santé fragile. Il est de trop grande valeur et trop indocile pour être abandonné à lui-même, en sorte que vous voilà rivé à votre monture comme à un compagnon de chaîne sur une galère. Un chemin difficultueux affole le cheval, bref c’est un allié exigeant et incertain qui ajoute cent complications aux embarras du voyageur. Ce qu’il me fallait c’était un être peu coûteux, point encombrant, endurci, d’un tempérament calme et placide. Toutes ces conditions requises désignaient un baudet ».
En fait de baudet, il achète une ânesse  « à raison de soixante-cinq francs et d’un verre d’eau-de-vie ».
Il la surnomme 'Modestine' et la personnifie non sans arrière-pensée pour sa bien-aimée : « Un regard plein de bonté et une mâchoire inférieure bien dessinée. Il y avait autour de la coquine, quelque chose de simple, de racé, une élégance puritaine, qui frappa aussitôt mon imagination.»

C'est parti pour une aventure de 12 jours à travers les Cévennes

A l’époque le concept de randonnée n’existait pas encore. La seule vue de ce personnage fantasque et bohème, se promenant avec un âne, faisait se gondoler de rire les indigènes cévenols.
«  Un touriste de mon genre était jusqu’alors chose inouïe dans cette région. On m’y considérait avec une piété dédaigneuse comme un individu qui aurait décidé un voyage dans la lune. »
Stevenson démarre le 22 septembre 1878 et ça commence vraiment très mal.
« Le jour de mon départ, j’étais debout un peu après cinq heures. Vers six heures, nous commençâmes à charger le baudet et dix minutes plus tard mes espérances gisaient dans la poussière. Le bât ne prétendait pas tenir sur le dos de Modestine, même une demi-minute. Je le renvoyai à son fabricant avec lequel j’eus une prise de bec tellement injurieuse que le trottoir de la rue était garni, de nous à vous, d’une foule de badauds qui regardaient et écoutaient. Le bât changea de mains avec beaucoup de vivacité. Peut-être serait-il plus exact de dire que nous nous le jetâmes réciproquement à la tête. En tout cas, étions-nous fort échauffés et inamicaux et parlions-nous avec une excessive liberté ».
Né dans une famille de concepteur de phare écossais, Stevenson n’avait aucune aptitude naturelle à la conduite des ânes. Il en fit l’apprentissage sur le tas.
« Et vous marchez comme ça ! s’écria-t-il. Et rejetant la tête en arrière il partit d’un long et cordial éclat de rire. Je le regardai, déjà prêt à demi à me sentir offensé, tant qu’il eût satisfait à son hilarité. Et alors : « Vous n’avez pas à avoir aucune pitié pour ces animaux », fit-il. Et arrachant une verge à un buisson, il se mit à en fouetter Modestine sur l’arrière-train, en poussant un cri. La malheureuse redressa les oreilles et partit sans façons à une vive allure qu’elle garda sans ralentir, sans témoigner du moindre symptôme de détresse, aussi longtemps que le paysan resta près de nous.
L’homme me donna un excellent, quoique inhumain conseil. Il me le tendit, en même temps que la baguette qui, déclara-t-il, serait plus finement sentie que mon bâton. Finalement, il m’apprit le véritable cri ou le mot maçonnique des âniers : « Prout ! » J’étais fier de mon savoir neuf et pensais que j’avais appris à perfection l’art de conduire. »
Parti à l’aventure, sans carte ni topo, Stevenson dormait où la nuit le surprenait. Ses récits de bivouac donneraient presque envie de tenter l’expérience.
« La nuit est un temps de mortelle monotonie sous un toit ; en plein air, par contre, elle s’écoule, légère parmi les astres et la rosée et les parfums. Les heures y sont marquées par les changements sur le visage de la nature. Ce qui ressemble à une mort momentanée aux gens qu’étouffent murs et rideaux n’est qu’un sommeil sans pesanteur et vivant pour qui dort en plein champ. La nuit entière il peut entendre la nature respirer à souffles profonds et libres ».
Statue de Stevenson à Colinton, Ecosse
A l’époque de Stevenson, les gîtes d’étapes n’existaient pas encore. Il s’hébergeait dans des auberges pour le moins rudimentaires. (Authentiques comme on dirait aujourd’hui !)
« Qu’on imagine une maison campagnarde à deux étages avec un banc devant la porte, la cuisine et l’étable contiguës, de sorte que Modestine et moi pouvions nous entendre dîner réciproquement. Ameublement des plus sommaires, sol de terre battue, un dortoir unique pour les voyageurs et sans autre commodité que des lits. Dans la cuisine, cuisson et manger vont de pair et la famille y dort la nuit. Quiconque a la fantaisie de faire sa toilette doit y procéder en public à la table commune. La nourriture est parfois frugale : du poisson sec et une omelette ont constitué en plus d’un cas mon menu. Le vin y est des plus médiocres, l’eau-de-vie abominable. Et la visite d’une énorme truie grognant sous la table et se frottant à vos jambes n’est pas un impossible accompagnement du repas. »
Stevenson souligne à plusieurs reprises la qualité d’accueil dont il fait l’objet.
« Les gens de l’auberge, neuf fois sur dix, se montrent cordiaux et empressés. Aussitôt que vous avez passé le seuil, vous cessez d’être un étranger et, quoique ces paysans soient rudes et peu expansifs sur la grand-route, ils témoignent d’une notion de gentil savoir-vivre, dès que vous partagez leur foyer. Au Bouchet, par exemple, j’ai débouché ma bouteille de beaujolais et j’ai invité l’hôte à se joindre à moi. Il n’en voulut prendre qu’un rien. »

Epilogue

Arrivé à Saint-Jean du Gard, le voyage prend fin. Il lui faut se séparer de Modestine. Le moment est plein d’émotion.
« Modestine et moi – ce fut notre dernier repas ensemble – nous cassâmes la croûte sur le faîte du Saint-Pierre, moi assis sur un tas de cailloux, elle debout à mon côté au clair de lune et, comme une personne distinguée, recevant le pain de mes mains. La pauvre bête mangeait mieux ainsi, car elle avait pour moi une sorte d’affection que j’allais bientôt trahir ».
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’année suivant son épopée cévenole, il part en en Californie rejoindre sa dulcinée.
Là bas, il l’attendra un an dans le dénuement le plus total. Le temps qu’elle se délie de ses liens conjugaux. Ils se marient le 19 mai 1880 et choisiront de passer leur lune de miel dans une mine d’argent désaffectée. Trois ans plus tard paraît son bestseller « l’ile au trésor ». Fanny et Louis Robert partent vers la Polynésie dans les îles Samoëns qu’ils ne quitteront jamais.
De santé fragile, une embolie cérébrale l’emporte le 3 décembre 1894. Son corps est porté par 400 Samoëns au sommet du mont Vaea où il repose depuis.

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Un article de Gérard Caubet